L’introversion des Belges

Le HuffingtonPost, 10 février 2013, Libertiamo, 8 marzo 2013

Après l’accouchement, laborieux, d’un accord sur la sixième réforme 1 de l’Etat au terme d’une crise gouvernementale de plus de 500 jours 2, du 6 juin 2010 au 6 décembre 2011, le climat belgo-belge se fait de nouveau « torride ». Indubitablement, le grand rendez-vous électoral (régional, national et européen) de juin 2014 agite déjà les esprits. Les propos peu amènes volent de plus belle au pays de Tintin et Milou, sans toutefois avoir la saveur des jurons du capitaine Haddock.

Extraits choisis :

Bart De Wever, président de la NVA 3 : « (les francophones) veulent de l’argent, un maximum d’argent pendant aussi longtemps que possible, et ils veulent Bruxelles » (…) « Mais il ne sera pas dit que Bruxelles tombera dans les mains francophones ! 4 ».

Benoît Lutgen, président du CDH 5 : « Si demain la Flandre choisit le séparatisme et la N-VA, je peux déjà dire à Bart De Wever : cela sera sans Bruxelles. C’est ‘nuts’ : on peut encercler Bruxelles tant qu’on veut, il y a 95% de francophones à Bruxelles et ils doivent être respectés » 6.

Ambiance.

Petit rappel. A l’automne dernier, la Nouvelle Alliance Flamande (NVA), le parti indépendantiste flamand, engrangeait un nouveau succès lors des élections communales. Son président, Bart De Wever, s’installait quelques semaines plus tard à l’Hôtel de Ville d’Anvers, à pied d’oeuvre pour travailler à la réalisation d’un grand rêve encore inconfessable : faire de la magnifique métropole de l’Escaut, la capitale de Flandre.

En Flandre, les quatre partis traditionnels 7 s’essayent à une nouvelle stratégie : ne plus « être à la remorque » des indépendantistes. Ils promeuvent désormais une ligne institutionnelle plus modérée conditionnant de nouveaux transferts de compétences de l’Etat central vers les régions à la mise en œuvre de l’accord sur la 6ième réforme de l’Etat signé en 2011. Black out donc (pour le moment) sur de nouveaux transferts de compétences et sur l’instauration d’un condominium de la Flandre et de la Wallonie sur Bruxelles voulus par les indépendantistes flamands. Le monde francophone se divise. D’un côté, les tenants d’une fusion de la Wallonie et de Bruxelles. Au créneau le ministre-président de la région wallonne, Rudy Demotte (PS) ; le nouveau président du PS et bourgmestre de Charleroi, Paul Magnette et, de façon plus discrète mais non moins incisive, le premier-ministre Elio Di Rupo. Sans oublier le chevalier blanc des mal-nommés Fédéralistes Démocrates Francophones (FDF), Olivier Maingain, pour qui « la Fédération Wallonie-Bruxelles doit s’affirmer comme un Etat » 8. De l’autre, des vétérans de la cause régionaliste wallonne comme José Happart qui « plaide pour que Bruxelles soit une région autonome à part entière gérée par les Bruxellois pour les Bruxellois. » 9 ou comme l’ancien ministre-président de Wallonie (PS), Jean-Maurice Dehousse 10, mais également le ministre régional wallon (PS), Jean-Claude Marcourt pour qui « la Belgique peut et doit être fondée sur trois régions » 11 ou encore le secrétaire général de l’inter-régionale wallonne du syndicat FGTB, Thierry Bodson, « un pays de plus en plus régionalisé – probablement sur base de quatre régions » 12, et, plus surprenant, le ministre régional wallon (Ecolo) Jean-Marc Nollet, qui prône « quatre régions et des déclarations d’interdépendance ». 13

Rien de nouveau sous les cieux belges ? Pas si sûr. Pour deux raisons. Tout d’abord parce qu’en Flandre, la volonté de gérer son propre destin ne faiblit pas, au contraire. Non tant – et non seulement – pour la raison proclamée, une volonté de saine (auto)gestion contre une gestion jugée dispendieuse et irresponsable des Wallons et une incurie présumée des Bruxellois qu’en raison de l’enracinement d’une profonde aspiration nationale qui, tel un boson de Higgs 14, ne se laisse lire qu’entre les lignes des enquêtes d’opinion, des déclarations publiques ou des sondages.

Mais aussi parce que la perspective d’une mise sous tutelle définitive de la région bruxelloise sous la forme d’un condominium flamand-wallon heurte de plus en plus de Bruxellois, tant néerlandophones que francophones. Les initiatives 15 rassemblant des citoyens de toutes origines se sont en effet multipliées ces dix dernières années avec l’objectif de (ré)affirmer l’identité spécifique de la région bruxelloise, ni flamande ni francophone, mais lieu de ces identités multiples chères à Amin Maalouf.

Cette spécificité n’est pas nouvelle. Bruxelles n’est pas une ville de Flandre. Capitale du duché de Brabant dès le 13° siècle, on y a longtemps parlé, surtout mais pas seulement, un dialecte thiois 16. Conquise en août 1356 par le comte de Flandre, Louis de Male, elle fut libérée quelques mois plus tard par Everard ‘t Serclaes et une centaine de patriotes bruxellois. C’était hier. Le 24 octobre 1356. La geste de cette grande figure bruxelloise fait toujours l’objet d’un culte bon-enfant sur la Grand Place où sa statue de bronze brille du passage de milliers de mains de Bruxellois et de touristes. Bruxelles eut d’autres héros comme les comtes d’Egmont et d’Hornes, opposants à la politique de la Cour d’Espagne qui « vont entrer, tête en moins, dans le martyrologue d’une certaine idée bruxelloise de la Liberté » 17. Le 5 juin 1568, ils sont décapités sur la Grand Place de Bruxelles. Sans avoir été jamais une grande nation, Bruxelles et le Brabant ont, selon les termes d’Ernest Renan, leur « riche legs de souvenirs » 18. Et, à voir le foisonnement d’initiatives multiculturelles et multi-ethniques 19, « le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage que l’on a reçu indivis » 20, en d’autres mots la spécificité et l’esprit bruxellois sont toujours bien vivants. En témoignent de nombreuses enquêtes d’opinion : ainsi en 2005 « en cas de disparition de l’Etat belge, seuls 25 % des Bruxellois souhaitaient un rattachement à la Wallonie et 5 % un rattachement à la Flandre tandis que 67 % souhaitaient l’autonomie de leur région » 21.

Les variables de l’équation institutionnelle belge

  • une inexorable avancée du mouvement indépendantiste flamand,
  • une classe politique francophone (tant bruxelloise que wallonne) divisée, les uns prônant le statu-quo avec, au cas où, un plan B ou B signifie Petite-Belgicanie, une Belgique résiduelle regroupant la Wallonie et Bruxelles, deux territoires que les plus « créatifs » imaginent relier par une espèce de couloir de Dantzig passant par la forêt de Soignes,
  • des régionalistes qui, après une longue éclipse, redeviennent plus combatifs à Bruxelles surtout, mais aussi en Wallonie, voire en Flandre 22,
  • le caractère intenable de l’actuel statut de la région bruxelloise.

Onbespreekbaar 23

L’actuelle Région bruxelloise souffre principalement de deux maux unilatéralement qualifiés d’ « onbespreekbaar » par les Flamands, tabou en français : son exiguïté territoriale et la rigidité de ses règlementations linguistiques.

La Région bruxelloise est en effet enfermée dans un carcan territorial qui ne correspond en rien à sa réalité économique et sociologique. Des villes-régions d’Europe, elle est de loin la plus petite : 161 km carrés 24, soit 0,5% du territoire de la Belgique. Son périphérique serpente, pour l’essentiel, en dehors de son territoire. Son aéroport, pourtant à vingt minutes en train de la Grand Place, se situe en Région flamande. De nombreuses zones industrielles sont installées à sa lisière, mais déjà en Régions flamande et wallonne. Trois cent mille « navetteurs », les pendulaires du cru, en provenance des deux autres régions du pays viennent y travailler chaque jour tout en payant leurs impôts sur leur lieu de résidence. Autrement dit : en Flandre et en Wallonie. A la recherche de logement à prix abordable ou dans des lieux plus verdoyants, chaque année des milliers de membres des classes moyenne et aisée quittent Bruxelles, souvent en continuant à y travailler, pour s’installer dans sa grande périphérie flamande ou wallonne, un phénomène que la mise en service prochaine d’un réseau RER amplifiera encore. Avec les conséquences que l’on imagine sur les rentrées fiscales et donc sur la capacité de la Région bruxelloise à faire face à ses obligations régionales, nationales et européennes. Les réglementations linguistiques, la connaissance requise du néerlandais et du français en Région bruxelloise, et celle du néerlandais dans les parties de la grande périphérie bruxelloise sises juridiquement en Flandre, pénalisent lourdement l’accès à de nombreux emplois, en particulier pour certaines catégories de la population, par ailleurs souvent déjà bilingues, voire trilingues : français-arabe, français-turc, français-portugais, français-arabe-berbère, français-turc-anglais, français-tchétchène-russe, français-kurde-turc, … Au point que la Région bruxelloise, pourtant classée parmi les plus riches d’Europe, compte 20 % de chômeurs, chiffre qui monte jusqu’à 40 % dans certaines communes 25. 32 % des enfants de la région (0-17 ans) vivent dans des ménages ne disposant d’aucun revenu du travail …, seuls 322.000 Bruxellois travaillent sur une population de plus d’1.100.000 habitants, … Enfin, en dépit de ses spécificités dont, en particulier, une démographie galopante 26, la Région bruxelloise n’a pas de réelle maîtrise sur la politique de l’enseignement 27, celle-ci restant l’apanage des Communautés flamande et française (francophone) 28, où les représentants bruxellois sont largement minoritaires.

Rompre le tabou de l’intangibilité de l’organisation politico-administrative de la Région bruxelloise, y compris dans ses dimensions territoriale et linguistique, apparaît indispensable si l’on veut, avec Alain Maskens, « une solution juste (qui offre) un compromis acceptable non seulement sur le plan linguistique et communautaire, mais également sur le plan des équilibres régionaux : partage des territoires et des ressources, bonne gestion des matières territoriales » 29.

« La langue invite à se réunir ; elle n’y force pas » 30

Nous touchons là, bien évidemment, à deux questions extrêmement sensibles : les frontières et les langues. Où les accusations d’impérialisme ou de colonisation ne sont jamais loin. Pour les Flamands, l’arrivée de populations francophones des classes moyennes dans la grande périphérie bruxelloise où la langue officielle est le néerlandais a longtemps été vécue comme le résultat d’une véritable politique de colonisation ou de « francisation », « oubliant » les raisons économiques à l’origine de cet exode vers la grande périphérie et assimilant au passage ces nouveaux résidents aux minorités francophones qui vivaient dans ces communes depuis des générations. Pour les régionalistes bruxellois, l’ammanie 31 de Bruxelles était bien flamande dans le sens où le flamand y a été jusqu’au 19° siècle la langue majoritaire 32, mais pas du point de vue politique et administratif. Elle était partie intégrante du duché puis de la province du Brabant. Ainsi « l’emplacement actuel de la frontière régionale de Bruxelles et ses conséquences, placent cette région dans une position de faiblesse et de vulnérabilité par rapport aux autres régions du pays ». 33 Elle est le produit d’une forme d’impérialisme flamand qui, sous prétexte de communauté (ou de parenté) de langue, a considéré l’identité bruxelloise et brabançonne comme nulle et non-avenue. Porté par le mouvement national flamand, ce processus d’unification de l’ensemble de la partie du territoire belge où le flamand était la langue majoritaire a fini par percoler non seulement dans les esprits des Flamands mais dans ceux de nombreux Bruxellois et par apparaître comme une vérité intangible. Un peu comme si Lausanne ou Genève devaient, impérativement, faire partie de la France. Ce processus put compter, il est vrai, sur la complicité de la Wallonie qui, en vertu de ce même primat de la langue, s’accapara le « roman païs », la partie francophone du Brabant.

2° partie : « Petit Ours Belge Dit Non » 34

Le HuffingtonPost, 11 février 2013, Libertiamo, 9 mars 2013

Les grandes réformes institutionnelles qui ont scandé le processus de (con)fédéralisation de la Belgique ont donc fini par conforter une ligne de partage des eaux : sur un versant les Flamands, sur l’autre les francophones, laissant la portion congrue aux velléités d’autonomie des Bruxellois 35 qui devront attendre 1989 pour obtenir un statut d’autonomie au rabais, où les Communautés flamande et francophone trustées par la Flandre et la Wallonie restent maîtres de nombreuses compétences dont l’éducation, la culture et certains aspects de la santé. Nous en sommes toujours là aujourd’hui. Cela est d’autant plus anachronique que la spécificité séculaire bruxelloise – ce goût pour les mélanges, les zinneke 36, les bâtards, … – s’est renouvelée avec l’apport de nouvelles populations : les « Européens » dès la fondation de la Ceca et puis de la Communauté Européenne dans les années cinquante, les ressortissants italiens, espagnols, … dans les charbonnages, les Marocains, Turcs, … ensuite qui sont venus prêter main forte au développement économique de la Belgique dès la fin des années soixante et, enfin, les Polonais, Bulgares, Roumains, … après la chute du mur de Berlin et les Congolais lors de la descente aux enfers de leur pays. Dans la région bruxelloise 7 % des parents parlent le néerlandais ; 56,8 % le français ; 8,6 % le néerlandais et le français ; 11, 3 % le français et une autre langue ; 16,3 % une autre langue 37. Quant aux langues les plus parlées dans la ville-région de Bruxelles en 2006 : ce sont le français parlé par 95,55% ; l’anglais par 35,40 % ; le néerlandais par 28,23 % ; l’espagnol par 7,39 % ; l’arabe par 6,36 % ; l’italien par 5,72 % ; l’allemand par 5,56 % ;  » 38. Loin donc d’une ville-région bilingue ou d’une ville-région francophonissime comme la dépeignent certains 39.

Dans la grande périphérie bruxelloise située en région flamande, le néerlandais est la langue maternelle pour 56,6 % des habitants ; le français pour 24,9 % ; l’anglais et l’allemand pour 1,9 % ; une autre langue pour 16,7 % 40. En ce qui concerne la grande périphérie francophone située en Brabant wallon, si aucune étude de ce type n’est disponible, certaines informations laissent entendre que les communes concernées 41 connaissent elles aussi un phénomène d’internationalisation.

S’il est incontestable, on l’a vu, que ce n’est pas la langue qui réunit les Bruxellois, quels sont alors les éléments qui les rassemblent, qu’est-ce qui les fait se sentir chez eux, membres d’une même communauté territoriale, héritiers de mêmes traditions ? La multiplicité des langues, sans doute. La conviction avec Jorge Semprun 42 qu’en fin de compte ce qui importe ce n’est pas la langue mais le langage. Une certaine ironie bon enfant, une certaine propension à l’auto-dérision dont le Manneken Pis constitue une bonne représentation. La conscience, aussi, d’accueillir, sans l’avoir ni voulu ni mérité vraiment, la capitale de l’Union européenne. Une approche urbanistique anarchique par goût autant que par laxisme. La perception nette de se trouver au carrefour des cultures germanique et latine. Bruxelles c’est un peu tout ça et beaucoup d’autres choses encore. Un cocktail relativement attractif en tout les cas puisque sa population ne cesse de croître 43.

Aux antipodes de cette reconnaissance du fait bruxellois, la Belgique francophone résiste encore et toujours. 50 ans de confrontation bloc contre bloc, Flamands contre francophones, ça laisse des traces. Beaucoup de petits ours belges continuent à dire non. A commencer par les présidents des partis francophones recroquevillés sur leur ligne Maginot : la défense indéfectible de l’alliance Wallonie-Bruxelles. Contre les Flamands. Mais des fissures apparaissent. L’ « Etat profond » se divise. D’aucuns considèrent que les atouts de toujours – l’impossibilité de régler la question bruxelloise et l’hostilité des partenaires européens à une implosion de l’Etat comme garant de la permanence de la Belgique – deviennent bien fragiles face à la montée en puissance des indépendantistes flamands de la NVA. Ainsi le journal Le Soir, expression la plus accomplie de cet establishment belge francophone, est en train d’opérer un virage remarqué. Par la voix de son éditorialiste en chef, il vient de donner un nouveau « la » : « Bruxelles n’appartient ni au Nord ni au Sud ». 44

Restent les deux tabous que nous avons déjà évoqués. Quel territoire, quel régime linguistique pour que cette troisième région à part entière soit viable et quelles garanties donner aux uns et aux autres pour que cette troisième région ne se transforme en alliée de l’un contre l’autre ?

Si communiquer est l’essentiel, les autorités bruxelloises pourraient acter d’un état de fait. L’anglais, la langue de communication au sein des institutions européennes et internationales (l’Otan), langue de communication, nous l’avons vu, pour 32 % de la population, pourrait opportunément devenir la troisième langue officielle de la Région. Et pourquoi pas, à terme, une langue de communication, entre Flamands et francophones ?

Bouger les frontières. Un exercice où la classe politique belge a indéniablement une certaine expérience. Il y a trente ans, elle a découpé la Belgique en deux morceaux avec l’objectif qu’ils deviennent linguistiquement homogènes. A force de réglementations en tout genre ils ont fini par le devenir, à tout le moins officiellement. Sauf. Sauf en Région bruxelloise et dans ses environs. Où, comme nous l’avons vu, la palette des langues s’est au contraire enrichie de nombreuses couleurs nouvelles. Les modifications nécessaires pour assurer une viabilité économique et sociale seraient relativement modestes bien qu’assurément suffisantes pour faire hurler au sacrilège les partisans de la sacralité du sol. Il s’agirait de passer de 0,5 % à deux ou trois pour cent du territoire de la Belgique. Ce qui correspondrait grosso modo à la zone péri-urbaine qui entoure la ville et donnerait à Bruxelles l’équivalent du territoire des villes-Etats de Hambourg ou de Berlin.

Que l’on considère qu’une organisation institutionnelle basée sur trois (ou quatre 45) régions à part entière constitue le seul « moyen de sauver la Belgique » 46, et/ou que l’on estime qu’en cas de persistance de la volonté d’une des régions belges de faire sécession, cette réorganisation peut, seule, garantir une dissolution en bon ordre du pays, ce mini-redécoupage territorial et l’attribution à la Région bruxelloise des compétences qu’y exercent aujourd’hui les Communautés flamande et française constituent deux réformes indispensables encore que non suffisantes. Quatre autres conditions devraient être remplies : un déplacement de la frontière régionale sans modification de la frontière linguistique 47; une clause de sauvegarde en cas de dissolution de la Belgique qui rende impossible une unification de la région bruxelloise avec la Flandre ou la Wallonie ; l’inscription d’un droit de sécession et de ses modalités dans la constitution 48 pour qu’il ne soit plus dit de la Belgique qu’elle est une « prison des peuples » ; la prise en compte du rôle européen de Bruxelles par l’introduction de l’anglais comme troisième langue officielle.

On est au bout d’un processus. Les tactiques à l’oeuvre, tant au Nord qu’au Sud, sont purement dilatoires. D’un côté, l’objectif est de vider progressivement l’Etat belge de toute substance pour, devant le fait accompli, faire sécession sur base des frontières administratives actuelles, tout en maintenant une tutelle sur Bruxelles. De l’autre, la jouer « raisonnable », en freinant autant que faire se peut le processus de dévolution et en espérant, par la même occasion, mettre de son côté les acteurs décisifs que sont les autres Etats européens et, en particulier, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne pour, le jour venu, hériter d’une petite Belgique comprenant la Wallonie et Bruxelles.

Quoiqu’il en soit, l’Union européenne et ses Etats membres seront tôt ou tard appelés à intervenir. Pour deux raisons. Tout d’abord parce que les phénomènes centrifuges à l’oeuvre en Grande-Bretagne (Ecosse), en Espagne (Catalogne et Pays Basque) et en Belgique (Flandre) poseront immanquablement la question de la permanence de ces (nouvelles) entités dans l’Union européenne. Deux approches juridiques et politiques devront être accordées : la conformité des principes fondamentaux et de la législation du nouvel Etat avec ceux de l’Union et l’indispensable prise en compte par l’Union du fait qu’elle n’est plus seulement une union d’Etats mais déjà, aussi, une union de citoyens et que la (ré)admission de ses citoyens « sécessionnistes » dans l’Union est, d’une certaine façon, obligée.

Mais en ce qui concerne la Belgique, un deuxième élément conditionne le processus de transformation institutionnelle : celui d’être l’hôte de la capitale de l’Union européenne. En d’autres termes les futurs institutionnels belge et bruxellois ne sont plus seulement une affaire belge. Bruxelles « appartient » donc non seulement à ceux qui y vivent, y compris les dizaines de milliers de fonctionnaires européens et leurs familles, mais aussi aux 504 millions citoyens de l’Union. Bart De Wever l’a, semble-t-il, bien compris. Deux fois déjà, il a fait le voyage à Londres. Reçu avec les honneurs par le Premier Ministre, David Cameron 49.

Les autorités de l’Union européenne et de ses Etats-membres sont donc de facto invitées aux futures négociations. A moins que les politiques belges ne décident finalement de revoir leur copie et d’apporter des réponses sérieuses aux questions de viabilité de la Région bruxelloise non seulement en tant que région à part entière de la Belgique mais aussi en tant que capitale de l’Union. Autrement dit, qu’ils réalisent qu’accueillir les principales institutions de l’UE comporte non seulement des avantages (pour la Région bruxelloise et les autres régions de Belgique) mais aussi des responsabilités, des devoirs et des coûts.

 

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Notes:

  1. La transformation de la Belgique d’un Etat unitaire en un Etat (con)fédéral a nécessité (jusqu’ici) six réformes constitutionnelles (en 1970, 1980, 1988-89, 1993, 2001 et 2011)
  2. Où, avec 541 jours, la Belgique pulvérisa le record mondial détenu jusque là par l’Irak.
  3. N-VA, Nieuw-Vlaams Alliantie, parti indépendantiste flamand
  4. VRT, « De Zevende Dag », 20 janvier 2013
  5. CDH, Centre des Démocrates et Humanistes, ex Chrétiens-démocrates francophones
  6. RTBF, « L’Indiscret », 13 janvier 2013
  7. Chrétiens-démocrates, socialistes, libéraux et écologistes
  8. La Libre.be, le 9 janvier 2013
  9. Le Soir, le 8 janvier 2013
  10. Le Vif-L’Express, le 8 janvier 2013
  11. L’Avenir.net, le 12 septembre 2011
  12. Agir par la culture, printemps 2012
  13. La Libre.be, le 7 janvier 2013
  14. Dans ce cas il s’agirait d’un coefficient qui permettrait de calculer la différence entre la préférence partisane d’un électeur et son adhésion affichée aux objectifs fondamentaux du même parti. En d’autres termes, sa capacité à se retrancher derrière les choix fondamentaux – souvent formulés de façon ambigüe – d’un parti pour ne pas devoir affirmer de façon explicite son choix personnel.
  15. Le Manifeste Bruxellois en 2003, Bruxsel Forum en 2004, Aula Magna en 2005, l’Appel « Nous existons ! Wij bestaan ! We exist ! » en 2006, le 2° Manifeste bruxellois en 2007, les Etats généraux de Bruxelles en 2008-2009, fondation du parti Pro-Bruxsel en 2008, … voir sur ce sujet le très bon dossier de Jean-Paul Nassaux, « Le nouveau mouvement bruxellois », dans le Courrier hebdomadaire du CRISP, N. 2103-2104, 2011
  16. « Historiquement le terme « thiois » était utilisé par les populations septentrionales de langue d’oïl (c’est-à-dire les Français du domaine royal, les Picards, les Wallons, etc.) pour désigner les différents parlers germaniques des populations voisines », Wikipedia
  17. Georges Renoy, Bruxelles à cœur ouvert, Duculot, 1977
  18. Ernest Renan, « Qu’est-ce qu’une nation ? », conférence à la Sorbonne, 11 mars 1882
  19. La manifestation folklorique « Zinnekeparade » en constitue un bon exemple
  20. Ernest Renan, op. cit.
  21. Sondage réalisé en janvier 2005 par Research Solution. Cité par Alain Maskens, La Libre, 10 mai 2006
  22. Johan Vande Lanotte, vice-premier ministre (SPA, Parti Socialiste flamand), s’est prononcé en faveur d’une réelle autonomie pour Bruxelles et pour une Belgique fondée sur quatre régions. L’Echo, 17 février 2011
  23. Littéralement : dont on ne peut parler. Dans la novlangue institutionnelle belge : que l’on ne peut mettre à l’ordre du jour. Autrement dit, tabou
  24. Genève : 282 km carrés ; Brème : 404 ; Vienne : 457 ; Hambourg : 755 ; Berlin : 889.
  25. La Région bruxelloise est composée de 19 communes (municipalités)
  26. Selon des études démographiques, la Région bruxelloise devrait compter 1.201.000 habitants en 2020, soit une augmentation de 12 % par rapport à 2010 tandis que les régions flamande et wallonne devraient compter une population de respectivement 6.586.000 et 3.751.000, soit une augmentation de 5,7 % et 7 % par rapport à 2010.
  27. Le déficit dans l’enseignement primaire et secondaire à l’horizon 2020 est estimé à quelques 15.000 places
  28. La Belgique est fédérée sur deux niveaux : le niveau des régions avec la Flandre, la Wallonie et la Région Bruxelloise, et le niveau des Communautés avec la Communauté flamande, la Communauté française (francophone) et la Communauté germanophone. Les Communautés sont compétentes pour les matières qui s’adressent directement aux citoyens : enseignement, santé, culture, … (dites matières personnalisables). Les Flamands ont fusionné leur communauté et leur région. A Bruxelles, les matières personnalisables sont gérées par les Communautés flamande et française (les écoles flamandes par la Communauté flamande, …).
  29. Alain Maskens, entretien, juillet 2012
  30. Ernest Renan, op. cit.
  31. Nom donné aux districts dans le duché de Brabant
  32. Majoritaire seulement. Comme en témoignent de très vieux documents, l’usage du français y est fort ancien.
  33. Alain Maskens, « Brussels : fair regional borders versus linguistic borders », in The linguistic territoriality principle : right violation or parity of esteem ?, Re-Bel e-book II, October 2011, « The current location of the regional borders of Brussels and the consequences thereof do clearly place the region in a weak position vis-à-vis the others in the country. »
  34. Danièle Bour, Petit Ours Brun dit Non, Bayard Jeunesse Ed., 1997
  35. Soit les 19 communes (municipalités) centrales de l’agglomération bruxelloise, auxquelles fut appliqué un statut bilingue : néerlandais-français
  36. En dialecte bruxellois : corniaud, chien bâtard
  37. « Taalgebruik in Brussel en de plaats van het nederlands. Enkele recente bevindingen. », Brussels Studies, N. 13, janvier 2008, « L’emploi des langues à Bruxelles et la place du néerlandais. Quelques données récentes »
  38. Suivent le portugais : 1,6 % ; le turc : 1,47 % ; le lingala : 0,99 % ; le grec : 0,91 % ; le russe : 0,64 % ; le berbère : 0,36 %. « Taalgebruik in Brussel en de plaats van het nederlands. Enkele recente bevindingen. », op. cit.
  39. Comme, exemple parmi d’autres, Benoît Lutgen, président du CDH : « … il y a 95 % de Francophones (à Bruxelles) … », RTL-Info, le 14 janvier 2013
  40. Thuistaal bij gezinnen met kinderen geboren in 2008, per gemeente van de Vlaamse Raad in Didier Willaert, « De recent internationalisering van het Brussels gewest en de Vlaamse Rand », VUB, 2010 « La langue parlée dans les familles avec enfant né en 2008, par commune dans la périphérie flamande »
  41. En particulier Braine-l’Alleud, Braine-le-Château, Enghien, La Hulpe, Lasne, Rebecq, Rixensart, Tubize, Waterloo et Wavre
  42. Jorge Semprun, « En fin de compte, ma patrie n’est pas la langue …, ma patrie c’est le langage »,  in Le langage est ma patrie, Éditions Buchet/Chastel, 2013
  43. Les démographes prévoient une augmentation de 170.000 habitants d’ici 2020. Bruxelles comptait 1,142 million d’habitants fin 2011.
  44. Béatrice Delvaux, Le Soir, le 22 janvier 2013
  45. Par quatrième région on entend la communauté germanophone qui connaît une situation spécifique en raison de sa dimension territoriale et démographique (70.000 habitants)
  46. José Happart, op. cit.
  47. Alain Maskens, op. cit.
  48. Sur le modèle de l’Art. 50 du Traité de Lisbonne qui organise la sortie d’un Etat-membre de l’UE.
  49. En mars 2011 et en octobre 2012

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