Ukraine. Si vis pacem para bellum. (français)

Strade, 17 mars 2014, RTBFInfo, 18 mars 2014, Le HuffingtonPost, 18 mars 2014, Inosmi.ru, 20 mars 2014

Pétris de kantisme, de nombreux Européens se sont convaincus que la guerre était désormais impossible. Chez eux. La Syrie, c’est une autre histoire. Ils se sont trompés. En occupant ce petit morceau d’Europe qu’est la Crimée, Vladimir Poutine a déclaré la guerre. A l’Ukraine. Mais pas seulement. A l’Europe. A la communauté mondiale des démocraties. A la société russe. Qu’il l’ait fait sans déclaration de guerre, avec des soldats sans insignes de reconnaissance, ne fait qu’ajouter à la gravité de l’acte.

L’Europe peut évidemment rejouer, toute entière, la triste partition de la « drôle de guerre » (septembre 1939-mai 1940). Aujourd’hui comme hier, à la une des journaux : des scandales en tout genre, des défilés de mode, des fusions de grandes entreprises, de prochaines élections déterminantes, d’importantes compétitions sportives, le chômage, … et quelques nouvelles sur ce qui se passe à nos confins. Les Sudètes hier. L’Ukraine aujourd’hui. C’est loin l’Ukraine. Bruxelles-Kyiv : 2067 kilomètres, Bruxelles-Athènes 2774 kilomètres.

Elle peut faire comme si elle n’entendait pas ces bruits de bottes. Et pourtant dans quelques heures, dans quelques jours elles risquent de porter la mort et la dévastation. Elles sont là, tapies aux frontières orientales et méridionales de l’Ukraine. Prêtes à déferler sur les villes de Kharkiv, Donetsk, Odessa, Dnepropetrovsk, Luhansk, Zaporizhia, Mikolaiv, …

Le temps n’est plus de savoir ce qui prime dans l’esprit du maître du Kremlin. La peur de perdre son pouvoir et de voir son régime s’écrouler, ou la volonté de lui donner un nouveau souffle à travers un projet de restauration impériale, ou, encore, d’énormes intérêts économiques en Mer Noire et en Ukraine. Désormais tout cela ne fait plus qu’un. Insécable.

L’Union européenne et ses Etats membres doivent abandonner le registre du « toujours trop peu » et « toujours trop tard » et reconnaître l’irresponsabilité politique qui les a empêchés de créer une véritable politique étrangère et de sécurité commune. Et, dans l’immédiat, faire bloc au sein de l’Otan. Avec les Etats-Unis. Et contribuer ainsi à ce que le président américain, trop faible jusqu’ici, réussisse, poussé dans le dos par les membres du Sénat, à se hisser à la hauteur de la situation.

L’enjeu est en effet énorme et multiple : préserver des règles permettant une vie internationale commune fondée sur un minimum de respect du droit ; contenir le régime anti-démocratique russe ; protéger les pays frontaliers de la Fédération de Russie et, last but not least, tout mettre en œuvre pour permettre à l’Ukraine de sauvegarder sa souveraineté et d’enraciner l’Etat de Droit et la démocratie.

Vladimir Poutine a donc déclaré la guerre. A l’Ukraine en envahissant une partie de son territoire. Aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne, co-signataires avec la Russie, du Mémorandum de Budapest (1994) garantissant l’intégrité territoriale de l’Ukraine en contrepartie du démantèlement de son arsenal nucléaire. A l’Europe toute entière en violant les frontières et en occupant une partie du territoire d’un Etat européen souverain.

Les pays européens et les Etats-Unis peuvent-ils, au prétexte qu’il n’existe aucun traité d’assistance mutuelle entre leurs Etats et l’Ukraine, accepter ce coup de force et, plus encore, rester sans autre réaction que des sanctions économiques et diplomatiques devant l’annexion de la Crimée et la probable invasion et annexion de l’Ukraine orientale et méridionale par la Russie ?

Let’s go back to reality Mr Putin

Non. Le régime russe doit savoir que toute opération militaire ultérieure en Ukraine obligerait les Etats-Unis et les pays européens à réagir militairement. Non pas seulement en soutenant les forces armées ukrainiennes mais en intervenant directement avec l’Otan. Comme le préconisa M. Sikorsky à propos de Viktor Yanoukovitch, le temps est venu de dire à Vladimir Poutine que la réalité est celle-ci : toute autre solution que le retour à la situation antérieure à l’invasion et à l’occupation de la Crimée est inacceptable.

En Europe rien ne sera plus comme avant

Quelle que soit l’option qui sera finalement retenue par Vladimir Poutine – l’annexion de la seule Crimée, l’annexion d’une grande partie de l’Ukraine  ou le retour des troupes russes dans leurs casernes – une chose est sûre. Rien ne sera plus jamais comme avant en Europe.

L’Europe ne voulait pas d’ennemi. Elle en a un et pas des moindres puisqu’il s’agit de l’Etat de loin le plus grand et le plus peuplé des Etats européens. Et pas n’importe quel Etat. Une dictature impériale et impérialiste, et la seconde puissance nucléaire mondiale.

L’Europe n’a pas su ou n’a pas voulu se doter d’une réelle politique étrangère, de défense et de sécurité commune. Dans un tel contexte, ce n’est plus tenable. Les Etats de l’UE membres de l’Union monétaire ainsi que ceux qui s’engagent à le devenir, devraient procéder immédiatement à une augmentation significative de leurs budgets militaires d’au moins 25 %, et mutualiser ces ressources nouvelles en créant, selon la méthode communautaire, une armée européenne commune.

Les contrats de vente d’armements conclus par les pays membres de l’Union avec la Fédération de Russie (les navires Mistral, les transports de troupes Iveco, …) devraient être annulés et les objets de ces contrats transférés à l’armée commune européenne dans la mesure de ses besoins et possibilités.

La société Dassault devrait être scindée en deux sociétés : les activités civiles sous le contrôle de la famille Dassault, les activités militaires sous le contrôle d’Airbus. Les Etats de l’UE qui le souhaitent ou des sociétés aéronautiques des pays concernés devraient être invités à entrer dans le capital de cette filiale d’Airbus.

Les Européens devraient déclarer ce 21 mars, lors de la cérémonie de signature du volet politique de l’Accord d’Association UE/Ukraine, que le processus d’adhésion de l’Ukraine sera ouvert dès la signature finale de l’Accord d’Association.

Les Etats-Unis, le Canada, les 28 et la Suisse devraient de toute urgence créer une commission de haut niveau chargée de rassembler toutes les informations concernant les biens que possèdent Vladimir Poutine et ses prête-noms en dehors de Russie et procéder au gel de ceux-ci.

Enfin, arrêtons de croire à cette histoire selon laquelle nous aurions humilié la Russie. La Russie, ce grand pays, n’a eu besoin de personne pour s’humilier. C’est elle qui, sans aucune aide, sombra corps et biens dans cette tragédie historique que fut le marxisme-léninisme « réalisé ». C’est la Russie, seule, qui, lors de l’écroulement de l’URSS, ne trouva pas la force de procéder à une vaste lustration et qui retomba derechef aux mains des exécutants des basses œuvres de l’ancien régime, les héritiers du KGB. C’est elle qui se laissa dépouiller peu à peu, par ces mêmes héritiers, de la substance même des éléments d’Etat de Droit et de démocratie introduits à la fin des années 80 et au début des années 90. C’est le régime qui la gouverne qui ne veut pas comprendre que le temps des empires est révolu. C’est ce même régime qui a décimé au cours de deux guerres la population de Tchétchénie, ses propres citoyens (plus de 100.000 victimes). C’est toujours lui qui a envahi la Géorgie en 2008. Et c’est avec le feu vert, implicite ou explicite, des plus hauts dirigeants de ce même régime, qu’Anna Politkovskaja, Natalia Estemirova, Sergueï Magnitski, et des centaines d’autres journalistes, défenseurs des droits de l’homme, militants politiques, entrepreneurs, … ont été assassinés, « accidentés », « empoisonnés », « suicidés », …

 

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2 thoughts on “Ukraine. Si vis pacem para bellum. (français)

  1. Votre affirmation selon laquelle « Vladimir Poutine a donc déclaré la guerre » est une exagération, une simplification parce que le système russe n’utilise pas que des moyens militaires. Entre autre c’est un systeme puissamment assis sur la Maffia. L’activité des organisations secrètes ne recouvre pas celle des armées officielles et les organisations secrètes n’ont pas intérêt a une « déclaration de guerre », par exemple parce qu’elles utilisent des paradis fiscaux ou bien parce qu’elles revendent la drogue sortie d’Afghanistan. En outre Poutine utilise un puissant système d’espionnage. Il est présent dans tous les pays du monde par exemple en Algérie. L’espionnage russe hérité du marxisme léninisme ne consiste pas seulement dans du renseignement politique ou industriel il implique la penetration dans les forces politiques nationales comme ce fut le cas de Guillaume qui était le secrétaire de Willy Brandt. Ainsi quand vous entendez les commentateurs sur Arte, ou sur BFM, ou encore les soi disant spécialistes allemands vous ne pouvez pas deviner facilement lesquels sont payés par Moscou. Pendant la première période de son pouvoir Poutine a utilisé le pacifisme en occident ,- ce que vous dites très bien sous la forme d’une « Europe pétrie de kantisme », mais cette période s’est terminée avec les révolutions arabes. La doctrine des règles de la lutte politique légale et illégale a été mise au point par Lénine et puis par un autre homme politique qui n’est pas Staline mais Mao tse toung pour la classe ouvrière et son parti politique qui ont dégeneré aujourd’hui en une organisation maffieuse. Elle implique toujours des mots d’ordre politiques et économiques et des truands qui sont dirigés par des commissaires politiques. Une des raisons pour laquelle votre affirmation de déclaration de guerre est exagérée est que la Russie est profondément préoccupée par sa frontière sud, Chine, Iran, Afghanistan, Turquie. Il n’est pas raisonnable de monter en exergue la frontière avec l’Europe alors qu’il s’agit essentiellement d’un théatre d’opération sur internet, Russes et Ukrainiens prenant la succession des révolutions arabes pour se livrer à des opérations de parades sur internet.

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