Aide militaire à l’Ukraine : la Belgique en carabinier d’Offenbach

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Le Vif, 5 octobre 2022The KyivPost, 4 octobre 2022

La Belgique vient de décider d’une nouvelle aide militaire à l’Ukraine pour une valeur de 12 millions d’euros. Elle comprend des mitrailleuses lourdes 1 et des munitions ainsi que du matériel non létal dont des casques, des vêtements d’hiver, des équipements de vision. Des ambulances et des camions d’évacuation médicale devraient également être livrés … début 2023.

C’est bien mais c’est peu. Peu si l’on considère l’aide militaire fournie au cours des sept derniers mois par la Belgique. Très peu quand on sait l’ampleur des besoins des Ukrainiens. Tout à fait insuffisant à l’aune de l’importante mobilisation – jusqu’à un million de soldats – que vient de décréter le Président russe. Incompréhensible si, avec le Secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, l’on considère « (…) qu’avec plus de 80 % des forces terrestres russes désormais engagées dans l’opération en Ukraine, (les forces armées russes) ont une marge de manœuvre limitée pour aller dans un autre pays. (…) » 2, autrement dit pour ouvrir un nouveau front.

« Aider l’Ukraine maintenant et renflouer les stocks plus tard » 3

D’où l’invitation, l’exhortation même du Secrétaire général de l’OTAN aux gouvernements des pays membres de l’organisation « à puiser davantage dans les stocks, dans les réserves, pour continuer à fournir les approvisionnements dont l’Ukraine a besoin immédiatement ». 4

Or, étrangement, les stocks de l’armée belge ont été très peu touchés jusqu’ici. Ceci est d’autant plus étrange que l’armée belge est entrée dans une phase de renouvellement de certains de ses équipements. Cela est le cas, par exemple, de ses camions transporteurs de troupes.

Et, comme l’ont montré les images de la récente contre-offensive ukrainienne dans la région de Kharkiv, l’armée de Kyiv manque toujours cruellement de véhicules de transport de troupes. De nombreux soldats ukrainiens en sont réduits à se déplacer dans de vieilles Lada et autres camionnettes antédiluviennes, voire à pied.

La Belgique pourrait – le conditionnel est de mise – fournir à l’Ukraine des centaines de camions et véhicules de mobilité d’infanterie. Car, à moins de projets grandioses d’extension des forces armées belges dont personne n’a entendu parler, la simple arithmétique voudrait qu’un nombre équivalent à celui des nouveaux camions achetés par la Défense belge soit placé dans la réserve et qu’un nombre équivalent à celui des camions actuellement dans la réserve soit disponible à la vente ou, dans le cas qui nous occupe, puisse être fourni gracieusement, toute séance tenante, à l’Ukraine.

Pourtant, il n’en est rien. Selon le service de la défense chargé de la revente des armements déclassés, seuls dix-huit camions de transport de troupe seront mis prochainement en vente publique 5. Si certains de ces camions nécessitent d’importantes réparations (classés en catégorie 3), celles-ci sont certainement à la portée des mécaniciens de l’armée ukrainienne habitués à réaliser des miracles tous les jours.

Dix-huit camions donc. Un nombre qui peut difficilement correspondre au nombre de nouveaux camions entrés en service cette année et au nombre de ceux qui seront livrés à l’armée belge au cours des prochains mois. 879 nouveaux camions DAF remplaceront en effet les actuels camions Unimog et Volvo d’ici 2025. Autrement dit quelques 500 nouveaux camions seront livrés d’ici la fin 2023 et autant seront déclassés et mis en vente.

Des chiffres qui ne relèvent pas du « secret défense » mais qui sont du domaine de l’open source, comme le sont d’ailleurs les caractéristiques techniques et les délais de livraison des nouveaux armements dont se dotera la Belgique.

A ces chiffres publics devrait correspondre un calendrier pluriannuel détaillé de l’Armée belge relatif à la vente de l’ensemble de ces camions déclassés ainsi que de l’ensemble des équipements et armements déclassés. Tout indique qu’il n’en est rien. L’armée belge ou, plus exactement, le service de vente du matériel déclassé semble gérer en toute confidentialité la question sans que le gouvernement n’en soit exhaustivement informé.

Pourtant ce n’est que sur base d’un tel calendrier que le gouvernement belge pourrait en toute connaissance de cause répondre aux demandes faites par l’armée ukrainienne.

Cette situation à tout le moins surréaliste n’est pourtant que le dernier épisode de la saga des (non) livraisons d’armements belges à l’Ukraine. En mai dernier, ce n’est que grâce à l’intervention directe du Royaume-Uni que la question des canons automoteurs belges M109 6 a pu être résolue. Il est vrai que l’exercice était difficile pour les autorités belges. Elles auraient dû, rien de moins, racheter à leur valeur sur le marché, des équipements qu’elles avaient vendus quelques années plus tôt au prix de la ferraille à l’entreprise privée OIP Land Systems. Soit dix fois plus cher.

« Le vrai point faible des Ukrainiens, c’est nous, les Occidentaux. » 7

Dans la mesure où les Ukrainiens font, pour nous, un travail de réduction drastique de la principale menace à notre sécurité – celle représentée par la Russie – il est difficilement concevable qu’en plus des 500 camions qui seront remplacés dans les prochains mois, la Belgique ne puisse aussi puiser dans sa réserve quelques centaines d’autres camions. Elle pourrait, de la même manière, fournir immédiatement une partie de ses 430 véhicules de mobilité d’infanterie (Iveco LMV) et une partie de ses 280 Dingo II qui seront remplacés à partir de 2023 et au cours des années suivantes. Elle pourrait aussi, comme le suggèrent Stijn Mitzer et Joost Oliemans 8, acheter à la société OIP Land Systems d’autres véhicules blindés légers et des véhicules blindés de transport de troupes M113.

A moins de sombrer dans l’euphorie après les récents succès militaires de l’Ukraine – ce qui serait une grave erreur, le soutien de l’Occident à l’Ukraine reste plus crucial que jamais. A l’énorme entreprise de mobilisation 9 ainsi qu’à l’organisation de référendum-farce dans les territoires occupés, l’Occident se doit de répondre par un renforcement considérable de son aide militaire. Y compris par des armements jusqu’ici exclus comme les chars, les systèmes de défense anti-aérienne et les avions de chasse. De ce point de vue, le temps est sans doute venu pour que la Belgique évalue aussi la possibilité de transférer rapidement à l’Ukraine une partie de ses F16 10 qui seront remplacés à partir de 2023/2025 par les F35.

Last but not least, au vu de la gravité de la situation en Ukraine et la menace que celle-ci fait peser sur toute l’Europe, le Parlement belge serait sans doute bien inspiré de réformer de fond en comble l’actuel système de vente des armements déclassés, y compris en envisageant l’hypothèse de le soustraire à sa tutelle actuelle.

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Notes:

  1. Probablement des mitrailleuses lourdes M2HB-QCB (12.7x99mm NATO) fabriquées par FN.
  2. NATO’s Stoltenberg: Ukraine’s Gains Are ‘Extremely Encouraging’, by Ravi Agrawal, Foreign Policy, 15 septembre 2022
  3. Stoltenberg, op. cit.
  4. « Stoltenberg: We already talking to defense industry to ramp up production to further help Ukraine, replenish our own stocks », Interfax Ukraine, 9 Septembre, 2022
  5. Vente de divers véhicule Volvo en six lot à Heverlee, La Défense
  6. « A show Of Shame – Belgian Weapons Deliveries To Ukraine”, Stijn Mitzer and Joost Oliemans, Oryx, August 20, 2022
  7. Michel Goya, historien militaire, Quotidien, 14 septembre 2022
  8. « A show Of Shame – Belgian Weapons Deliveries To Ukraine”, op. cit.
  9. Une mobilisation qui pourrait concerner un million de soldats.
  10. Des F16 dont la durée de vie pourrait être, selon une étude de Lockheed Martin, prolongée de 6 ans.

3 thoughts on “Aide militaire à l’Ukraine : la Belgique en carabinier d’Offenbach

  1. Sans vouloir m’immiscer dans les affaires intérieures belges, je suis tout à fait de votre avis sur le fait que c’est le moment d’aider l’Ukraine comme jamais. Ces quelques succès sur le front ne représentent pas la fin de la guerre, mais sont la preuve que les soldats ukrainiens se battent avec conviction pour défendre leur patrie d’une part et que, d’autre part, l’aide occidentale est utilisée à bon escient. « L’investissement » que font les occidentaux pour leur sécurité et la défense des valeurs démocratiques en Europe donne des résultats non négligeables et devraient encourager ceux des pays qui ont des oursins dans leurs poches ou qui ne croyaient pas en une victoire ukrainienne contre la « deuxième » armée du monde. Aider l’Ukraine, c’est aider l’Europe tout entière et aussi la Russie à se débarrasser de ses vieux démons criminels et mafieux.

    • Merci pour votre commentaire ! Tout à fait d’accord avec vous. Sauf sur un point. Je crois qu’il est tout à fait légitime de s’immiscer dans les affaires « intérieures » d’un autre Etat que le sien, a fortiori s’il s’agit d’un Etat-membre de l’UE et d’un Etat-membre de l’OTAN.

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