Aide belge à l’Ukraine : la honte

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« Face à cette agression russe et à ces crimes de guerre, l’ONU est mise au défi de remplir sa mission. Tout le monde dans cette pièce, chaque pays, se verra un jour demander : Qu’avez-vous fait pour arrêter ça ? Qu’avez-vous fait pour protéger le peuple ukrainien ? Avez-vous détourné le regard, ou avez-vous agi ? Dans ce conflit, la neutralité n’a pas sa place. […] » 1

Voilà la position officielle de la Belgique à l’égard de l’agression dont est victime l’Ukraine, telle que rappelée par le Premier Ministre belge, Alexander De Croo, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre dernier.

Huit mois après le début de la nouvelle invasion russe de l’Ukraine, l’aide concrète, militaire et civile, de la Belgique à l’Ukraine reste parmi les plus modestes des pays occidentaux : 213 millions d’euros, soit 0,04 % du PIB. 2 Pendant ce temps, d’importantes quantités d’armements pourtant déclassés continuent à moisir dans les entrepôts de l’Armée belge. Parmi ceux-ci, des centaines de camions militaires dont l’armée, la garde nationale et la police ukrainiennes ont un besoin pressant.

Du point de vue politique, le bilan est tout aussi décevant. Alors que la guerre fait rage depuis plus de 240 jours, ni le Premier ministre belge Alexander De Croo, ni les ministres des Affaires étrangères Hadja Lahbib et de la Défense Ludivine Dedonder ne se sont encore rendus à Kyiv. Déjà, au printemps dernier, lors du débat sur la question de l’octroi à l’Ukraine du statut de pays candidat à l’Union européenne, la position de la Belgique avait été, au mieux, inaudible. Ce n’est qu’après que le Président du Conseil italien eut réussi à emporter l’adhésion de Berlin et de Paris, chemin de croix plus que conversion sur le chemin de Damas aux dires même de Mario Draghi, que la Belgique, en lanterne rouge des pays membres de l’UE, est sortie du bois et a manifesté son soutien.

Plus récemment, au début du mois d’octobre, la Belgique s’est à nouveau tristement singularisée en s’abstenant lors du vote du 8ième paquet de sanctions de l’Union européenne. La raison invoquée par le Premier ministre : l’inclusion des producteurs russes d’acier dans la liste des sanctions. Et pour cause, le groupe russe NLMK possède deux entreprises en Belgique : NLMK La Louvière et NLMK Clabecq.

Selon Alexander De Croo, « à partir du moment où le coût économique des sanctions devient plus élevé, cela devient difficile d’être solidaire » 3, laissant ainsi entendre que son approche de la guerre en Ukraine s’apparente plus à celle qu’un gouvernement peut avoir à l’égard d’un pays frappé par une catastrophe naturelle qu’à celle d’un gouvernement confronté à une menace existentielle à sa sécurité et à celle de toute l’Europe.

On peut par ailleurs s’interroger sur la pertinence de cette abstention alors que selon le Président du Conseil européen, Charles Michel, l’UE est en train de finaliser la proposition du transfert des actifs russes à l’Ukraine. Dans ce cadre, il est en effet difficilement concevable que les actifs belges du groupe NLMK ne soient pas concernés et que Vladimir Sergueïevitch Lissine 4, proche de Vladimir Poutine et principal actionnaire du groupe, ne soit finalement inscrit sur la liste des personnalités russes sanctionnées.

En septembre dernier, Hadja Lahbib, la ministre belge des Affaires étrangères, laissait pourtant entrevoir un changement de cap de la Belgique : « Nous attendons le bon moment pour nous rendre en Ukraine. Nous ne voulons pas partir les mains vides ». 5 Un mois plus tard, rien n’a bougé. Etrange sens de l’urgence, a fortiori pour une ministre qui a des choses à se faire pardonner. Il est vrai que le gouvernement n’a guère été aidé. Pas un parlementaire, de la majorité comme de l’opposition, pour le houspiller.

Pendant ce temps, la Russie multiplie les bombardements sur les populations civiles et les infrastructures vitales de l’Ukraine. Pas de quoi être fier d’être belge. La honte plutôt.

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Notes:

  1. Speech by Belgian Prime Minister Alexander De Croo at the United Nations, 24 septembre 2022
  2. Ukraine support tracker, Kiel Institute for the world economy
  3. « La Belgique s’est abstenue de voter les sanctions contre la Russie ». Vincent Georis, L’Echo, 6 octobre 2022
  4. Quatrième fortune russe, estimée à 24,5 milliards de dollars en 2022
  5. « Voyage controversé en Crimée : Hadja Lahbib estime que l’incident est «clos» », L’Avenir, 20 septembre 2022

2 thoughts on “Aide belge à l’Ukraine : la honte

  1. Pingback: Belgian aid to Ukraine: a disgrace - L'Européen

  2. Cher Olivier Dupuis
    Juste de retour d’Ukraine, je lis votre blog.
    Je voudrais vous remercier pour les efforts que vous menez depuis le début pour faire bouger le gouvernement belge sur cette question.
    Hélas,ce gouvernement de coalition semble marqué par une torpeur ou un saisissement qui ne semble pas se limiter à l’aide à l’Ukraine mais à tout les conséquences économiques et sociales qui en découlent pour les Belges
    Je soutiens pleinement votre action
    Bien à vous
    François Djindjian

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