Pour une Belgique à quatre régions

La Revue Nouvelle, septembre 2011, Libertiamo.it, 28-29 octobre 2011

Si on changeait d’approche ? Si l’on commençait par chercher un point d’équilibre où pourraient se retrouver celles et ceux qui continuent à croire en la valeur ajoutée de la Belgique, celles et ceux qui veulent lui donner une dernière chance, celles et ceux qui croient en l’indépendance de leur région respective et, enfin, celles et ceux qui estiment que quels que soient les choix qui prévaudront, il faut se prémunir dès à présent de tout risque de débordements violents en créant une procédure constitutionnelle qui encadre une décision éventuelle de sécession par une région ou l’autre ?

Pour ce faire, commençons par écarter tout ce qui est inacceptable pour les uns ou pour les autres.

1. La menace d’un repli francophone sur une « Belgique résiduelle » en cas de sécession de la Flandre et, par conséquent, l’annexion à la Wallonie aujourd’hui et, peut-être, à la France demain, de Bruxelles, une ville brabançonne longtemps majoritairement flamande : inacceptable pour les Flamands.

2. Le non-respect des droits fondamentaux de la minorité francophone de la périphérie de Bruxelles (120.000 personnes) par les autorités flamandes en contradiction totale avec tous les standards internationaux : inacceptable pour les francophones.

3. L’enfermement de la région bruxelloise dans ses 19 communes alors que son hinterland économique, social, fiscal et culturel englobe au moins les zones urbanisées de la première ceinture jusqu’à Vilvorde et Braine-l’Alleud : inacceptable pour les Bruxellois.

Clarifions également deux malentendus :

1. L’indépendance de la Flandre n’est pas, dans son essence une question belge, et, moins encore, une posture anti-francophone. C’est une question flamande. C’est un rêve, une aspiration avec tout ce que cela charrie d’émotionnel. Mais c’est aussi un projet. Rationnel, mûri, pensé, organisé, …

Les francophones, Wallons et Bruxellois, ne peuvent donc considérer comme inacceptable qu’une partie consistante de la population flamande et une majorité de sa classe politique veuillent l’indépendance de la Flandre. Tout un chacun peut évidemment nourrir de sérieux doutes sur le bien-fondé d’une telle aspiration à l’heure de l’intégration européenne. Mais on peut voir les choses sous un autre angle également. L’existence d’une Union européenne qui concentre aujourd’hui une part notable des pouvoirs des Etats nationaux d’hier, rend en effet non seulement beaucoup moins problématique l’émergence de nouveaux Etats mais change la nature même de leur émergence. Quoiqu’il en soit, c’est aux seuls citoyens de Flandre qu’il appartient de décider s’ils veulent aller au-delà de cette interrogation et faire de ce rêve et de ce projet d’indépendance une réalité. Aux Wallons et aux Bruxellois incombe la responsabilité de définir d’un commun accord avec les Flamands les règles qui présideront à une éventuelle dissolution de la Belgique.

2. La francisation de la périphérie n’est pas le résultat d’une politique délibérée de certains francophones en vue de changer l’équilibre démographique des communes qui entourent Bruxelles. Ces changements sont, tout comme ceux que l’on voit à l’œuvre dans les communes du Brabant wallon, des conséquences du développement économique et démographique de Bruxelles. Mais le fait qu’il ne s’agisse pas d’une manœuvre pernicieuse de certains n’empêche pas que cette réalité nouvelle soit perçue comme un problème par d’autres. Des solutions respectant les droits fondamentaux des uns et prenant en compte les craintes des autres doivent être trouvées. Et elles existent !

3. Etre la capitale de l’UE est tout à la fois une énorme responsabilité et une grande opportunité. Et même si la thématique n’est pas porteuse aujourd’hui, la relance du processus d’intégration européenne est, pour de multiples raisons qu’il n’est pas possible d’aborder ici, absolument indispensable. Un jour viendra – espérons-le le plus proche possible – où de nouveaux approfondissements et élargissements de l’UE verront le jour. Une politique étrangère européenne unique, une politique de sécurité et de défense commune, une politique fiscale commune, … de nouveaux élargissements à l’Est (Ukraine, Moldavie, …), au Sud-Est (Turquie, Croatie, Serbie, Géorgie, Albanie, Macédoine, Kosovo, Azerbaïdjan, Arménie). Des approfondissements et des élargissements qui rendront plus important encore le rôle de Bruxelles comme capitale de l’Union européenne et contribueront à en modeler le visage et l’esprit de demain.

Mais quelque soit la forme qu’aura alors Bruxelles, région dans l’Etat fédéral belge ou ville-Etat libre, il est clair qu’elle ne serait, pas plus qu’elle ne l’est aujourd’hui, une « autre planète », un « ailleurs » sans lien avec la Flandre et la Wallonie. Que du contraire, Bruxelles demeurera un pont, un lieu de rencontre non seulement pour les Flamands et les Wallons mais aussi pour tous les citoyens présents et futurs de l’Union européenne. De plus le renforcement de l’UE y amènera des dizaines de milliers de nouveaux « eurocrates » et leurs familles, entraînant de nouvelles activités économiques qui déborderont largement sur la Flandre et la Wallonie.

Nous voilà à la croisée des chemins du processus de réforme institutionnelle. Tirons les leçons de la méthode suivie jusqu’ici, une méthode qui s’apparente souvent à du dépeçage par petits morceaux, sans que l’on voie de projet articulé, pensé, voulu. Inversons les termes de la problématique : clarifions les modalités d’un divorce éventuel et définissons les compétences qui devraient rester du domaine fédéral, le « reste » étant automatiquement (et progressivement) dévolu aux régions.

Accordons nos violons :

  1. pour la réorganisation institutionnelle de la Belgique sur la base de quatre régions constitutives : la Flandre, la Wallonie, la région germanophone et Bruxelles ;
  1. pour le transfert de toutes les compétences ne devant pas rester du domaine fédéral vers les régions ;
  1. pour l’introduction d’une procédure référendaire visant à permettre aux citoyens de Flandre ou de Wallonie d’opter pour l’indépendance de leur région ; cette procédure ne pourrait être mise en œuvre que dans un délai de dix ans après son adoption, afin de permettre aux quatre régions d’organiser la gestion des nouveaux domaines de compétences qui leur seraient dévolus. Cette procédure pourrait être déclenchée par les parlements régionaux flamand ou wallon, via un vote à la majorité des deux tiers. L’indépendance de la région demanderesse serait reconnue valable si au moins la moitié des citoyens de la région concernée participait au vote et si la moitié des votants s’exprimait en faveur de l’indépendance ;
  1. pour la dissolution de la Communauté française (et/ou de Wallonie-Bruxelles) et la dévolution de ses compétences aux régions ;
  1. pour un accord prévoyant l’impossibilité pour la région de Bruxelles d’être associée ou intégrée, en cas de dissolution de la Belgique, à la Wallonie ou à la Flandre ainsi qu’à tout autre Etat à l’exception de l’Union européenne si celle-ci devenait un Etat reconnu internationalement comme tel ;
  1. pour l’élargissement de la région de Bruxelles aux communes à facilités (Crainhem, Drogenbos, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Wemmel et Wezembeek-Oppem), aux communes, ou à des parties d’entre-elles, du Brabant flamands (Asse, Beersel, Dilbeek, Grimbergen, Hal, Hoeilart, Leeuw-Saint-Pierre, Machelen, Meise, Overijse, Steenokkerzeel, Tervuren, Vilvorde, Zaventem), aux communes du Brabant wallon (de Waterloo, Braine-l’Alleud, Braine-le-Château, La Hulpe, Lasne, Tubize, Rebecq, Rixensart, Waterloo, Wavre), du Hainaut (Enghien). Soit environ 6 % de la population et de 2 à 3 % du territoire de la Flandre et de la Wallonie.
  1. pour l’instauration d’un tri-linguisme de service (français, néerlandais, anglais) dans la région de Bruxelles et la promotion de l’enseignement en immersion partielle ;
  1. pour la création autour de Bruxelles de 7 zones à haute protection environnementale et rurale où toute extension des zones d’habitats serait proscrite. Une telle mesure aurait le triple avantage de créer une ceinture verte autour de Bruxelles, de freiner le processus anti-écologique, anti-économique et anti-esthétique de l’urbanisation des campagnes et d’enrayer le processus de francisation des zones proches de Bruxelles.

Bruxelles ainsi élargie compterait 1.500.000/1.800.000 habitants dont quelques 15 à 20 % de Flamands. Une réalité nouvelle qui, de par la simple loi du nombre, entraînerait de fait une cogestion – démocratique dans ce cas – de Bruxelles par des Flamands et des francophones. Finies aussi les demandes humiliantes de « refinancement » : Bruxelles serait économiquement et fiscalement vivable, aujourd’hui comme région, demain éventuellement comme ville-Etat, capitale de l’Union européenne.

Mais trêve de rêve. Retournons à la réalité. Reconnaissons que toute corrélation entre le nombre de voix récoltées par les partis séparatistes flamands (60 %) et l’existence d’un fort courant en faveur de l’indépendance de la Flandre est de l’ordre de la pure fantaisie. Admettons une fois pour toutes que le confédéralisme ne veut pas dire ce qu’il veut dire : la libre association d’Etats indépendants…

Publié sur Libertiamo.it le 28 octobre 2011

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