Un pilote pour l’Europe

Libertiamo.it, les 18/19 novembre 2011

La Grèce semble le principal problème à l’ordre du jour à Francfort et à Bruxelles. Pourtant il n’a été que le détonateur – et certainement pas la cause première – de la crise politique actuelle, y compris, dans sa dimension institutionnelle européenne.

La crise du continent est double : nationale et européenne. Elle appelle donc deux niveaux de résolution. Au niveau des Etats-membres en difficulté, à commencer par la Grèce, il s’agit de mettre en œuvre des réformes structurelles profondes et garantir sa propre solvabilité. Contrairement à ce qui l’on entend souvent, ce n’est pas le niveau d’intervention le plus difficile. Cela peut réussir ou pas, mais si la Grèce (et l’Italie) réalise les réformes nécessaires, donnera une bonne contribution à elle-même et à l’Europe. Par contre, c’est au niveau européen que résident les principales difficultés. Pour une raison en particulier : elle passe par l’abandon de la vision intergouvernementale de la construction européenne, qui plus est, dans la version paroxystique que nous lui connaissons aujourd’hui telle qu’incarnée dans un Conseil européen omni-puissant et omniprésent.

Contrairement à une idée largement répandue 1, cette dérive institutionnelle et politique a été portée non par un (la Grande-Bretagne) mais par deux pays (la Grande-Bretagne et la France). Et paradoxalement le cas du Royaume-Uni est le moins problématique, même après l’introduction, en juillet dernier, de l’« EU Act » obligeant le gouvernement britannique à convoquer un référendum pour toute réforme ultérieure du Traité 2. Dans une Union européenne où seuls les membres de la zone euro seraient concernés par l’approfondissement et le renforcement de l’intégration économique et monétaire, l’assentiment nécessaire de la Grande-Bretagne à la modification des règles institutionnelles permettant une réelle démocratisation de l’Union pourrait être obtenu, croyons-nous, en échange de deux choses :

  1. une ouverture sérieuse du processus d’élargissement de l’Union à la Turquie, à l’Ukraine, à la Géorgie et à la Moldavie
  2. la promesse de maintenir l’unité institutionnelle de l’Union européenne 3.

Le cas de la France est beaucoup plus difficile. L’abandon de l’intergouvernementalité par ce pays ne représenterait rien moins qu’une rupture radicale avec la ligne de force qui a caractérisé une très grande partie 4 de son engagement dans le processus d’intégration européenne : l’Europe comme levier pour ses ambitions nationales. Le post-gaulliste Nicolas Sarkozy – il a abandonné la posture anti-américaine et anti-israélienne de ses prédécesseurs – ne fait pas exception. De ce point de vue, il est bien le digne héritier de ceux à qui il a succédé à l’Elysée. Avec leurs homologues britanniques dont les motivations étaient différentes, les dirigeants français furent, au fil des réformes des Traités de ces vingt dernières années, les principaux artisans du déplacement du centre de gravité de l’Union européenne, de la Commission et, on l’oublie souvent, du Conseil des Ministres, vers le Conseil européen. Lentement mais sûrement, la pièce maîtresse de l’oeuvre de Jean Monnet et, avec lui, de Konrad Adenauer, Robert Schuman, Alcide de Gasperi – l’indépendance de la Commission européenne à l’égard des Etats-membres – a été vidée de sa substance, au point qu’il n’en reste pratiquement plus rien.

Mais le basculement a aussi bénéficié du changement qui s’est opéré en Allemagne lors du départ d’Helmut Kohl et de l’avènement de Gerhard Schröder. Contrairement à son prédécesseur, le nouveau chancelier a les yeux rivés sur l’Allemagne et sur les réformes que l’état de son économie réclame. C’est d’ailleurs lui qui mettra un terme à la constante augmentation des dommages de guerre masqués : la contribution allemande au budget d’une PAC dont la France était le grand bénéficiaire. L’Europe n’était pas son cheval de bataille. Contrairement aux Européens Helmut Schmidt et Helmut Kohl, une possible dérive intergouvernementale de l’Union n’a pas été au centre de ses préoccupations. On serait presque tenter de penser le contraire, en dépit des discours de Joschka Fischer, son flamboyant ministre des Affaires Etrangères. Angela Merkel est de la même génération et de la même veine : national-centrée. En ce sens elle est proche de Nicolas Sarkozy. Culturellement elle n’a pas vécu les conséquences morales et politiques de la tragédie nazie que l’Allemagne de l’Est avait toutes entières évacuées sur l’Allemagne de l’Ouest. Elle a peut-être une certaine vision pour l’Allemagne, mais comme le président français elle ne semble pas en avoir – ou peu – pour l’Europe.

Si à cela on ajoute l’Irlande, le Portugal et la Grèce hors-jeu en raison de la gravité des crises qu’ils traversent et de l’appui qu’ils reçoivent de l’Union, les Pays-Bas disparus des écrans radars depuis l’assassinat de Pim Fortuyn en 2002 et le non au référendum de 2005, l’Espagne en difficulté et en passe de changer de majorité, la Belgique qui n’a pas de gouvernement depuis plus de 500 jours (record mondial), l’Italie qui a le record de gouvernement sans gouvernement, la Roumanie et la Bulgarie qui ont d’autres problèmes, la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie hors de la zone euro, … on a une bonne idée de ce à quoi peut ressembler un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne…

Allemagne et France ou le mariage de la carpe et du lapin

D’aucuns y voient l’émergence d’une espèce de protectorat franco-allemand. On en serait presque à le souhaiter tant la situation actuelle est délétère. Mais pour être dans une telle configuration il faudrait au moins que ces deux pays aient une vision commune des raisons de cette crise et une approche commune sur la manière d’en sortir. Toutes les péripéties de ces douze derniers mois montrent le contraire. Ces deux gouvernements sont aux antipodes. Plutôt qu’à un protectorat, ces réunions des chefs d’Etat et de gouvernement font penser à des réunions d’un conseil d’administration, avec Angela Merkel dans le rôle de l’actionnaire de référence (27 %), Nicolas Sarkozy dans celui de l’actionnaire d’appoint (21 %) et les autres Etats-membres dans celui de petits porteurs.

Tout cela contribue à nous éloigner plus encore des principes de la démocratie, de l’équilibre des pouvoirs et d’une réelle participation de l’ensemble des citoyens et des Etats-membres concernés. Il est urgent d’y venir ou d’y revenir.

Deux prémisses me semblent s’imposer :

  1. l’alternative entre des Etats-Nations fondamentalement irréductibles à toute forme d’intégration et des Etats-Unis d’Europe capables d’englober purement et simplement citoyens et Etats-Nations d’Europe n’est pas productive. Une troisième voie s’impose, fondée sur l’alliance entre des Etats-Nations forts et des institutions européennes fortes et sur une clarification de l’articulation entre les niveaux national et européen.
  2. une construction européenne parfaitement géométrique n’est ni possible ni souhaitable. Aujourd’hui déjà l’Union européenne est la somme de projets d’intégration et de coopération de périmètres différents. Ce n’est pas un handicap. C’est un point de force, a fortiori si l’on considère que de nouveaux élargissements de l’Union sont indispensables.

Dans cette optique une réforme de l’Union pourrait s’articuler sur les objectifs suivants :

  1. Priorité des priorités : mettre les citoyens et de remettre la Commission au centre du projet européen. L’élection directe du président de la Commission 5 par les citoyens européens me semble la meilleure manière de satisfaire ces deux exigences.
  2. La clarification et l’explicitation du rôle des Etats-Nations au sein de l’édifice européen par la création d’une véritable chambre haute ou Sénat européen qui se substituerait à l’actuel Conseil des Ministres. Le Conseil européen des Chefs d’Etat et de gouvernement serait transformé en Conseil des Sages qui se réunirait une ou deux fois par an et dont l’unique tâche serait de veiller à ce que les institutions européennes affrontent les problèmes qui doivent l’être et qu’elles sont pourvues des moyens de le faire.
  3. La création d’un Fonds Monétaire Européen chargé d’accompagner les Etats-membres en difficulté, y compris en leur permettant de transformer en obligations européennes des parties de leurs dettes (20 ou 30 % dans une première phase) en échange de la réalisation de réformes structurelles et, subséquemment, l’abandon de toute idée de condamnation d’un Etat-membre par la Cour européenne de Justice ou de sanctions telles que la suspension du droit de vote.

Par où commencer ? Dans un scénario où les Chefs d’Etat et de gouvernement des Etats-membres consentaient finalement à sortir d’une gestion au jour le jour de la crise, il serait indispensable d’opérer une rupture drastique avec la gestion chaotique de ces dernières années. Un changement à la tête de la Commission s’impose. La carte de crédit politique de José Manuel Barroso n’est plus rechargeable. L’Union européenne a besoin d’un nouveau président de la Commission doté d’une carrure politique à la hauteur du double défis à relever : le pilotage de la sortie de crise et la préparation d’une réforme institutionnelle ambitieuse qui permette la première élection au suffrage universel du (de la) président(e) de la Commission dès 2014. De par ses indiscutables convictions européennes et sa longue expérience, une personnalité me semble s’imposer dans le camp du centre-droit, aujourd’hui majoritaire : l’actuel ministre allemand des Finances, Wolfgang Schaüble.

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Notes:

  1. « Cette Europe politique – « française » – se heurte au refus de ceux, gouvernements et citoyens, qui ont une autre conception « britannique », de la finalité européenne. » Olivier Ferrand, « Vers l’euro-fédéralisme », LeMonde.fr, 4 novembre 2011
  2. « The UK heads slowly for the exit », Andrew Duff, European Voice, 27 octobre 2011
  3. Tous les Etats-membres de l’Union participent aux débats, seuls ceux participant à la coopération renforcée (zone euro par exemple), votent.
  4. A l’exception, bien évidemment, de la période initiale Monnet-Schuman
  5. La collégialité de la Commission serait supprimée ; le président de la Commission choisirait parmi les personnalités appartenant aux forces politiques qui l’auraient soutenu les commissaires, en tenant compte d’une représentation équitable des différents Etats-membres.

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