« Bruxellois révoltez-vous ! » – Bruxelles, un contre-feu face aux replis identitaires ? (3)

par Alain Maskens 1

Dans cette troisième partie de son essai « Bruxellois Révoltez-vous ! Pour Bruxelles, pour la Belgique, pour l’Europe » 2, Alain Maskens affronte la question bruxelloise dans les contextes belge et européen.

La Belgique en péril

Il ne faut pas être savant stratège pour comprendre que la partition institutionnelle et politique du pays en deux communautés sur une base linguistique a progressivement et inéluctablement rapproché la Belgique de la rupture en deux le long de la frontière linguistique.

Ce processus, initié avec la cassure du parti social chrétien en 1968, n’a jamais été interrompu depuis. Négocié à deux, front flamand contre front francophone, il n’a eu de cesse que de séparer ce qui réunissait au-delà des langues : le Brabant, l’INR, BHV, les grandes fédérations sportives, le jardin botanique de Meise… Obstination centrifuge, crispations linguistiques, refus d’ouverture : les exemples abondent, dans les deux sens. Rappelons-le : lors des débats sur la fixation des limites de l’agglomération bruxelloise en 1963, les Wallons ont refusé que celle-ci s’étende jusqu’à La Hulpe, Braine-le-Château et Waterloo, au motif qu’ils auraient dû accorder des facilités aux néerlandophones présents sur le territoire de ces communes 3. Et les autorités flamandes refusent encore toujours tout soutien officiel aux manifestations culturelles francophones sur leur territoire.

Le mouvement inverse ne pourra être enclenché que par un projet bruxellois fort. Qui casse la logique binaire des communautés linguistiques. Qui démontre que la solidarité peut dépasser les barrières culturelles. Qui offre de collaborer avec les deux autres régions dans un fédéralisme équilibré. Qui rende impossible l’annexion de Bruxelles par l’une ou l’autre de ses voisines. Et qui rende impossible la cogestion des Bruxellois par une confédération composée de deux Etats, Flandre et Wallonie.

Mais faut-il vraiment sauver la Belgique ?

Les protagonistes d’une Flandre indépendante voient dans cette indépendance une évolution normale, dans un cadre européen qui reprend à son compte de nombreuses compétences nationales. Cette belle idée théorique ne tient pas compte de ce que l’Europe ne dispose pas à ce jour des compétences qui lui permettraient de mettre en œuvre de réels mécanismes de solidarité entre les régions ou les états qui la composent. De plus, elle est loin d’avoir harmonisé les systèmes financiers, sociaux et fiscaux des états. Scinder aujourd’hui la Belgique reviendrait à briser le haut niveau de solidarité et d’harmonisation qui a été patiemment construit au sein de l’Etat belge, à un moment où ce même niveau n’existe pas encore au niveau européen.  

Par ailleurs, une partition du pays sur une base linguistique serait en opposition totale avec les vœux de la population. De sondage en sondage, la grande majorité des Belges rejettent cette idée. Et les Bruxellois refusent clairement de se voir rattachés à un Etat flamand ou à une Nation francophone : ils se disent avant tout… bruxellois et belges 4.

Enfin, au-delà de la question d’une éventuelle scission de la Belgique, il importe d’ouvrir la voie d’un système institutionnel cohérent et simplifié, en rompant nettement avec le système actuel, ses ambiguïtés et sa complexité 5.

Promouvoir la construction européenne

La dérive institutionnelle belge et ses conséquences négatives pour Bruxelles concernent bien évidemment aussi l’Europe.

Les Européens qui arrivent à Bruxelles (surtout s’ils arrivent en train !) sont d’emblée exposés à l’absence de vision et d’ambition de cette région qui pourtant a l’honneur d’accueillir leurs principales institutions. Ils sont exposés à une absence de grandeur, à un non-accueil urbanistique, à une pauvre gestion de la propreté et des travaux publics, à une mobilité étouffée. Aucun grand salut aux nations qui continuent de choisir Bruxelles comme capitale de l’Europe. Aucun grand miroir des valeurs de l’Europe. Bruxelles n’est pas aujourd’hui l’écrin que mérite la capitale de l’Europe.

Mais il y a plus grave et plus insidieux. La Belgique et Bruxelles, capitale de l’Europe, sont le principal théâtre d’un véritable processus politique anti-européen. Un processus de fragmentation et désolidarisation sur une base identitaire. Fragmentation et désolidarisation de la Belgique sur une base linguistique. Fragmentation et désolidarisation du Brabant sur une base linguistique. Fragmentation institutionnelle sur une base linguistique au sein même de la Région bruxelloise. Ce processus, intervenant au cœur même de l’Europe, constitue malheureusement un signal fort à destination de tous ceux qui, en Europe et au-delà, bâtissent leur pouvoir politique sur les replis identitaires – que ce soit sur une base ethnique, linguistique, ou religieuse 6.

A l’inverse, réaliser à Bruxelles même une citoyenneté solidaire au-delà des barrières sociales et linguistiques, construire une capitale qui témoigne d’ouverture à toutes les cultures, voilà ce dont la construction européenne a bien besoin. Bruxelles doit devenir un lieu où chaque citoyen européen est fier de se retrouver. Un lieu d’accueil et d’hospitalité. Un lieu de promotion de toutes nos cultures. Un lieu d’inspiration et d’humanité. Un lieu où tout reflète les valeurs que notre Europe pourrait offrir au monde 7.

 

 

 

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Notes:

  1. médecin et essayiste, l’un des pionniers du « nouveau mouvement bruxellois ».
  2. « Bruxellois révoltez-vous! Pour Bruxelles, pour la Belgique, pour l’Europe », AirEdition (www.dnao.be), février 2014
  3. Ce sont des politiciens wallons qui opposèrent leur véto au projet d’Arthur Gilson, qui proposait d’intégrer à l’Agglomération bruxelloise non seulement les communes à facilité, mais également ces trois communes wallonnes et deux communes flamandes : Dilbeek et Strombeek-Bever. Voir Olivier Dupuis, 2013, op. cit.
  4. Voir notamment Rudi Janssens, opus cité, p. 107
  5. La politologue Caroline Van Wynsberghe parle de « fédéralisme de confusion ». Elle ajoute : « Compte tenu des crises politiques successives que traverse la Belgique depuis quelques années, il est certainement plus logique de se demander ce que la Belgique peut apprendre des autres fédérations que l’inverse. Relever les spécificités belges par rapport aux autres États fédéraux revient quasiment à identifier ce qu’il faut éviter de faire. » L’ « exemple » belge. Les faiblesses de la formule fédérale mise en place en Belgique.(http://ideefederale.ca/wp/wp-content/uploads/2011/04/Belgique.pdf .)
  6. C’est ce que j’appelle les « idéologies mono-identitaires ». (Monoflamands et Monowallons ? Errances et dangers des idéologies mono-identitaires, 2000, http://www.alainmaskens.be/dnao/french/accueil.htm.)
  7. Plus prosaïquement, si Bruxelles continue d’être mal gérée, si elle ne contribue pas à freiner sur son sol les replis identitaires, il ne faudra pas se plaindre de voir un jour triompher les lobbies qui luttent pour transférer la capitale de l’Europe vers d’autres cieux, plus centraux aujourd’hui.

4 thoughts on “« Bruxellois révoltez-vous ! » – Bruxelles, un contre-feu face aux replis identitaires ? (3)

  1. Parce que c est la faute des Bruxellois que les Wallons votent passivement pour les memes incompetents quoi qu ils fassent depuis des decennies? Vous ne manquez pas d air. Je presume par ailleurs que vous vous moquez totalement des Wallons qui travaillent a Bruxelles et en peripherie et qui ont peut-etre besoin de radioguidage?

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